L'Huissier de Justice et son Mandat.

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Introduction.

 I.                    Le Mandat comme « Compétence Liée ».

A.    L’huissier est obligé de prêter son concours ...

B.    … et doit respecter les consignes de son client.

II.                 Mandat ad litem et devoir de conseil.

A.    Le mandat ad litem.

B.    L’huissier et le conseil.

 Conclusion.

*

Introduction.

Le Doyen Jean Vincent, dans son célèbre précis concernant la procédure civile, soulignait le pouvoir particulièrement important dont disposaient les huissiers de justice dans l’accomplissement de leurs missions.

Si aujourd’hui, la profession est regardée comme l’un des éléments essentiels de la chaîne procédurale, notamment, elle résulte de la réunion du rôle des sergents, responsables de l’exécution et des huissiers - qui n’étaient alors pas encore « de justice » - mais seulement audienciers. Cette distinction persiste dans de nombreuses nations, en particulier dans le rôle qui est confié aux shérifs aux États Unis d’Amérique.

Comme tous les professionnels du droit, l’huissier de justice se voit confier un mandat, et se doit de l’exécuter, en respectant les encadrements législatifs garantissant le droit de l’une ou de l’autre partie. A noter que cela n’est pas sans conséquences, car, contrairement à ce qui peut être cru, l’huissier est tenu d’un devoir d’information envers les tiers, le créancier, mais aussi envers le débiteur. L’huissier doit, en effet, garantir la bonne information du destinataire de l’acte qui lui est délivré [1].

Le mandat est un terme dont la définition a été apportée dès les origines du droit civil, par le code (civil) lui-même, en son article 1984, un titre entier y étant consacré. Ainsi, le mandat est  un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Dépendant du droit contractuel spécial, le mandat engage bien la responsabilité contractuelle du mandataire lorsqu’il n’est pas respecté, qu’il soit dépassé ou non exécuté, ou, en tout état de cause, exécuté d’une façon défectueuse.

La doctrine, quant à elle, définit le mandat comme un contrat de représentation par lequel une personne, le mandant, donne pouvoir à une autre, le mandataire, de conclure en son nom et pour son compte un ou plusieurs actes juridiques avec un tiers [2]. Cette définition a l’avantage de recouvrir le cas du mandat ad litem, dont disposent les avocats, mais aussi, pour une part, d’autres professionnels du droit, et plus particulièrement, l’huissier lui-même (II.A).

Cependant la façon dont l’huissier acquière mandat reste particulière (I) et ce professionnel du droit n’en est pas moins un conseiller des droits de ses clients, et comme nous l’écrivions, plus généralement, des tiers (II).

I.                    Le Mandat comme « Compétence Liée ».

A la différence d’un avocat qui peut opposer la « clause de conscience » à l’égard d’un client qu’il ne veut ou ne peut défendre pour des raisons d’ordre divers, cette possibilité n’est offerte à l’huissier que dans de très rares cas (A) et, en tout état de cause, l’huissier reste au service de son client et doit exécuter en fonction de ce que ce dernier lui indique (B).

A.    L’huissier est obligé de prêter son concours ...

La formule (exécutoire) apposée sur tous les actes exécutoires est caractéristique de la mission de l’huissier qui se doit de procéder dès lors où il est légalement requis, comme c’est d’ailleurs le cas d’autres personnes, qui, sont, elles, fonctionnaires de l’Etat [3].

L’article 18 du décret du 29 février 1956 et l’article 507 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC) disposent que, avant recouvrement ou encaissement, les huissiers doivent avoir reçu mandat, ou en avoir le pouvoir.

L’article 18 du décret de 1956 précise qu’en matière de recouvrement, amiable ou judiciaire, la remise des pièces à l’huissier de justice vaut mandat d’encaisser.

Quant à l’article 507 NCPC, il mentionne que la remise du jugement ou de l’acte à l’huissier de justice vaut pouvoir pour toute exécution pour laquelle il n’est pas exigé de pouvoir spécial.

Le formalisme est donc faible dans la mesure ou la volonté du créancier est exprimé de façon tacite, dès lors où des pièces sont remises. Cette forme de consentement n’est d’ailleurs pas spécifique de la profession d’huissier de justice.

Dès la remise des pièces, il est vrai que l’huissier a pleine latitude pour utiliser les moyens qui lui semblent les plus appropriés pour parvenir à l’exécution de l’affaire confiée. C’est, en fait, beaucoup plus l’architecture juridique qui le lie, que le mandat tacite confié par le client. L’huissier, a, par principe, une obligation de soins, de diligence et de vigilance. Ainsi l’inexécution, que ce soit en retardant anormalement une vente [4], ou en n’informant pas un correspondant qu’un acte est manquant [5], est de nature à faire présumer sa faute [6].

L’huissier dispose de pouvoirs particulièrement importants, et qu’il ne partage que depuis récemment avec les huissiers du trésor, qui, eux, appartiennent à la fonction publique de l’État. En effet, ils sont seuls à pouvoir procéder à l’exécution forcée et aux saisies conservatoires.

Malgré le ministère forcé [7], l’huissier de justice, doit et non peut, refuser son ministère respectant les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 18 de la loi du 9 juillet 1991 : « Sous réserve d’en référer au juge de l’exécution s’il l’estime nécessaire, lorsque la mesure requise lui paraît revêtir un caractère illicite ou si le montant des frais paraît manifestement susceptible de dépasser le montant de la créance réclamée, à l’exception des condamnations symboliques que le débiteur refuserait d’exécuter ».

Cela n’étant qu’une transposition de bon sens, mais qui était en effet nécessaire.

B.    … et doit respecter les consignes de son client.

La latitude dont l’huissier dispose dès lors où un client lui remet les pièces nécessaires est donc encadrée par la loi, mais ne dispense pas l’huissier de suivre les informations, indications et instructions que le client lui fournit. Ces informations sont d’ailleurs, parfois, nécessaires à l’action de l’huissier [8].

Ainsi, lorsque le client demande à l’huissier d’arrêter les poursuites, ce dernier doit les stopper immédiatement. Outre l’engagement de sa responsabilité envers son client s’il ne le faisait pas, il est admis que la recherche en responsabilité pour préjudice morale du débiteur est fondée [9].

L’huissier, s’il est libre de choisir (ou proposer) le moyen d’action qui convient le mieux, il a un devoir d’information envers son client, qui peut, par la suite décider de stopper ou suspendre les poursuites. Il est consacré et connu que l’huissier doit (pouvoir) justifier avoir suffisamment informé son mandant « des opérations effectuées et des difficultés rencontrés » [10].

En pratique, l’huissier perd beaucoup de sa marge de manœuvre lorsqu’un mandat lui est remis par une entité pourvue d’un service contentieux relativement organisé et remplissant une mission sociale. Hors de ce cas spécifique, l’huissier poursuit jusqu’à ce que l’affaire soit dénouée (soldée) et à donc une certaine liberté d’action.

II.                 Mandat ad litem et devoir de conseil.

L’huissier de justice a la possibilité d’agir « sous mandat ad litem », c’est à dire comme le font les plaideurs. Cette compétence est limitée à leur ressort d’intervention, c’est à dire le tribunal d’instance [11] de leur lieu de résidence. Dans ce cas où ils sont dispensés d’un document spécifique pour agir, il dispose d’une latitude plus ou moins grande (A). Également, comme toute profession réglementée, les huissiers ont un devoir de conseil, mais qui, là encore, ne leur permet pas de refuser leur ministère lorsqu’ils en sont légalement requis (B).

A.    Le mandat ad litem.

Cette fonction est exceptionnelle [12], puisqu’elle est  la compétence des avocats. L’huissier peut représenter son client sans avoir à produire un quelconque mandat.

L’article 884 NCPC permet à l’huissier de représenter ses clients devant le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux, et donc d’avoir la même latitude que celle qu’aurait un avocat en telle circonstance.

Il peut également représenter, dans les mêmes conditions, un client devant le tribunal de commerce, sur le fondement de l’article 853 NCPC, dans la mesure où l’article 627 du Code de Commerce qui lui interdisait, a été abrogé par la loi 87-550 du 16 juillet 1987. Néanmoins, il doit justifier d’un pouvoir spécifique à la différence de l’avocat.

Mais c’est au tribunal d’instance (ou de commerce) [13] qu’agissent le plus les huissiers de justice, puisqu’ils représentent leur client en audience de conciliation suite au dépôt d’une requête de saisie arrêts des rémunérations. En règle générale, ils se doivent d’analyser avec discernement [14] les capacités de remboursement des débiteurs avant la mise en place de la saisie.

S’ils ne peuvent se substituer aux créanciers pour décider de poursuivre ou non un débiteur, ou de lui accorder ou non des délais, l’huissier ne doit pas non plus abuser de ses pouvoirs puisqu’il est susceptible de se voir condamner à ce titre [15].

C’est ainsi, qu’en pratique, l’huissier peut fréquemment proposer un échéancier aux débiteurs, sauf opposition catégorique du client, qui demeure rare.

Enfin il peut aussi agir en matière de certaines procédures en injonction de payer, mais ne peut, là encore, le faire que dans le ressort de sa compétence, sauf à justifier d’un pouvoir [16] et, ne peut le faire suite à opposition à requête en injonction de payer [17]. La compétence de l’huissier est donc très limitée sur ce point.

Ainsi, on constate que l’huissier bénéficie bien de larges compétences dans les prétoires, sans naturellement pouvoir se substituer à l’avocat qui garde le monopole de la plaidoirie.

B.    L’huissier et le conseil.

Si l’huissier peut représenter son client en justice dans certains cas, il est alors nécessaire qu’un dialogue s’amorce quant à établir une stratégie et la pertinence de l’action.

Hors de la mission de conseil juridique que les avocats exercent depuis la réforme de leur profession, l’huissier a aussi la faculté de guider son client quant aux actions à entreprendre (et à ne pas entreprendre). En effet, il convient de dissuader un client qui se proposerait d’engager une action qui apparaît abusive ou frustratoire. Ce devoir de conseil est général, il est fondé sur son activité liée au partage du monopole de l’exercice du droit [18] et son devoir d’appliquer les textes législatifs et réglementaires.

L’huissier doit se montrer particulièrement vigilant, car, s’il est manifeste que des frais d’exécution forcée n’était pas nécessaires, ceux-ci seront à la charge du créancier [19]. L’huissier donc, a ici, la plupart du temps en amont de toute procédure, une mission particulièrement large de nature à engager sa responsabilité si son exécution est fautive. Cela étant, la jurisprudence apprécie la faute au cas par cas et se montre très fluctuante en cette matière.

Conclusion.

Comme les notaires, les huissiers bénéficient d’un monopole qui ne pourrait à lui seul leur permettre de subsister sans le développement d’autres activités [20]. Le conseil est un élément important. Les constats, qui pour certains ne peuvent être exécuter que par lui, ou des activités accessoires comme celle d’agent d’assurance ou d’administration d’immeubles [21] sont sans doute amenées à se développer. Reste également à suivre les développements à attendre des réglementations européennes. Si les avocats sont les plus visés par les réformes, la réforme de la signification dans l’Espace Économique Européen (à l’exception du Danemark) est peut être l’annonce de changements plus vastes …


[1] A ce sujet, Cassation Sociale, 4 octobre 1989, Bulletin civil, 566.

[2] Cabrillac, Rémy. Dictionnaire du vocabulaire juridique. Paris : Litec,2002. ISBN 2 7111 3449 0.

[3] Procureurs et officiers de polices ou de gendarmerie.

[4] CA Paris, 1ère chambre B, 4 juillet 1997, Madame Grangerrat contre SA Clark Material Handling France in Gazette du Palais, 23 janvier 1998, JD 022386.

[5] TGI Paris, 19 mars 1997, Suleiman contre Lotte, JD 041143.

[6] Cassation Sociale, 30 novembre 1945, D. 1946, P.155

[7] Ce que l’on assimile au terme de « compétence liée », Cassation Civile, 15 novembre 1904, S. 1906, 1, 512.

[8] L’huissier, comme l’avocat, n’a pas de pouvoir d’investigation. S’il peut avoir recours au FICOBA par l’intermédiaire du parquet (Loi du 9 juillet 1991, aticles 39 à 41), les informations bancaires, sur l’employeur, et évidemment sur le lieu de résidence, la date et le lieu de naissance du débiteur, sont à fournir par le créancier.

[9] TGI Paris, 25 janvier, Sokolsky contre SCP Hegel et Louail, JD 040297. Le débiteur a de nombreuses possibilités d’interventions à l’encontre de l’huissier de justice ayant exécuté ses missions de façon défectueuse.

[10] TGI Paris, 14 mai 1997, Sté Demsec contre Mocci, JD 041474.

[11] Hors le principe de l’extension de compétence, les huissiers n’ont pas le pouvoir d’instrumenter hors ressort. On peut voir une limite légale à leur moyen d’action. Cependant, elle nous paraît sans réelles conséquences.

[12] Paris 2 mai 1990, D. 90, IR 160 – Cassation civile 2ème, 23 octobre 1991, D. 91, IR 266.

[13] Et devant le juge de proximité dans les cas prévus par la loi.

[14] Le discernement figurant à la liste des qualités que doit posséder l’huissier de justice selon la jurisprudence (et le bon sens).

[15] L’huissier étant dépositaire d’une part de l’autorité de l’État, il est normal que l’on puisse le rechercher en responsabilité lorsqu’il abuse de ce pouvoir. Voir pour l’abus de saisie TGI Angoulême, 3 janvier 1994, D. 1994, sommaire p.343.

[16] Cassation civile 2ème, 5 novembre 1975, JCP 1976, IV, 6570.

[17] La jurisprudence fait de cette mission un monopole de l’avocat. Cassation Civile, 1er juillet 1981, Bull.Civ I n°145.

[18] Loi 90-1259 du 31 décembre 1996 en son article 56 notamment.

[19]  Article 39 de la loi du 9 juillet 1991.

[20] Cette analyse, qui est contestée, est notamment soutenue par Jacques Bazaille.

[21] Décret 56-22 du 29 février 1956. Ces activités font l’objet d’une autorisation du garde des Sceaux. La doctrine conteste ce décret (notamment le professeur Cadiet).

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